Fort de sa devise, « S’ils te mordent, mords-les » et de son énergie débordante, les initiatives pour réinventer le monde ou s’opposer à l’ordre établi ne manquent pas à Morlaix, ville du Finistère. Ville frondeuse de la guerre de succession de Bretagne au XIVe siècle, l’un des principaux ports de corsaires français au XVIIIe siècle, terreau de l’une des plus grandes manifestations d’agriculteurs du XXe siècle qui innova avec ses barrages, ses sabotages et ses défilés de tracteurs, Montroulez (Morlaix en breton) ne cesse de faire parler d’elle depuis le fin fond de la Bretagne. C’est donc sans surprise que cette petite ville d’un peu plus de 15 000 habitants est le théâtre de manifestations nombreuses et parfois remarquables comme celles contre la réforme des retraites ayant rassemblées jusqu’à 10 000 manifestants.
J’aime qualifier Morlaix de ville en quatre dimensions, trois pour sa topographie tout en relief et une pour sa vie sociale. C’est une ville de points de vue, au sens propre et figuré, c’est aussi une ville de lumière, celle bien particulière de la pointe bretonne. C’est un vrai théâtre à ciel ouvert.
J’aime imaginer que le rituel de ses mouvements de protestation est immuable et le restera encore pour longtemps. Au commencement, Morlaix se réveille timidement avec les premiers rayons de soleil qui effleurent les sommets de son viaduc. Pareils à des cormorans, les trains surplombent et traversent la ville. Son centre en contrebas est étonnamment calme, comme avant les grandes tempêtes hivernales. Comme l’eau dévale les pentes, des hommes et des femmes descendent sporadiquement et puis continuement des innombrables ruelles, venelles et autres escaliers. Petit à petit, la foule se forme, se salue, affute ses revendications puis prend le départ à la manière d’une marée humaine. Cette immense communion vient de démarrer et va s’engouffrer dans la ville.
J’aime comparer les manifestations morlaisiennes à une trompette. Son port et sa Manufacture, haut lieu de lutte sociale, serait son embouchure, les énormes piliers de son viaduc ses pistons et son centre-ville sa caisse de résonance. La foule serait son souffle, son vent, sa tempête. Manifester à Morlaix, c’est la certitude d’être entendu.e en Bretagne et même jusqu’à Paris, disent certains. Ce n’est peut-être aussi pas un hasard si le quotidien Le Télégramme est né à quelques encablures du port de Morlaix.
J’aime regarder ses deux monuments qui rythment inlassablement ses grands rassemblements. Manifester au côté de son imposante Manufacture Royale des Tabacs vous connecte avec près de 3 siècles de lutte sociale. Manifester sous le Viaduc vous ouvre l’horizon des possibles, expérience inoubliable à laquelle les jeunes Morlaisien.nes sont initié.es. Arrêtez-vous à deux ou trois sous l’une des trois arches centrales, scandez-y vos revendications et écoutez, vous serez alors traversé.es par un sentiment de puissance, celui porté par vos désormais deux ou trois cents compagnons d’échos.
La devise de Morlaix aurait été adoptée après qu'elle fut mise à sac par les troupes anglaises du Roi Henri VIII en 1522. Façon de prévenir l'ennemi qu'elle ne se laisserait désormais plus attaquer sans opposer une résistance farouche, Morlaix, forte de son histoire, de ses monuments et de ses habitants, continue d’être fidèle à son adage « S’ils te mordent, mords-les ».
A travers ces photographies, je tente de partager ma perception de Morlaix et des grands moments de sa vie sociale.
Une exposition a été présentée au Café concept à Tours en 2023.